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Comment les villes peuvent-elles rétablir la confiance dans la politique par un engagement public significatif ?

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11 May 2017
Read time: 4 minutes

Par Claudia Chwalisz


« Le peuple a parlé » : cette phrase a souvent été entendue en 2016. Malgré les innombrables raisons pouvant expliquer les votes, les référendums au Royaume-Uni, en Hongrie et en Italie ont tous été considérés comme des victoires par des politiciens affirmant représenter « le peuple ». De par sa nature, cependant, cette forme de démocratie directe crée une division – une opposition « nous » contre « eux » – qui force les personnes à choisir leur camp dans un débat où un problème complexe, aux implications multiples, est réduit à une simple question binaire.

Que les politiciens souhaitent éviter une telle consultation du « peuple » est compréhensible, car ils peuvent craindre une réaction violente dans ce qui est de plus en plus perçu comme un combat entre les « gens ordinaires » et les « élites ». Il ne faut pas oublier, cependant, que derrière le soutien aux partis et aux causes populistes, se cache un véritable besoin d'être entendu. Au Royaume-Uni, la grande majorité des habitants ont le sentiment que leurs voix ne sont pas prises en compte dans les décisions prises par leurs élus. Étant donné les observations récentes concernant la confiance du public envers les politiciens et les gouvernements européens, il ne serait pas surprenant d'arriver aux mêmes conclusions ailleurs. Le défi est donc que ces voix retrouvent un sens dans une approche plus constructive.

Un article du blog d'URBACT a examiné la manière dont les villes européennes appréhendent ces questions. Il est à noter que les dirigeants européens peuvent s'inspirer de plusieurs exemples, tels que le Canada et l'Australie, deux pays qui, au cours des dix dernières années, ont expérimenté avec succès l'intégration plus directe de citoyens ordinaires dans les processus de décision publique. Dans un livre à venir, The People’s Verdict: Adding informed citizen voices to public decision-making (aux éditions Rowman & Littlefield), je m'intéresse à la légitimité et à l'efficacité de décisions publiques prises par des ministres, des maires, des conseillers, et des personnes à la tête d'autres entités publiques, dans près de 50 cas où des gens ordinaires ont joué un rôle déterminant grâce à une innovation démocratique spécifique : les processus de délibération longs.

Dans tous ces exemples, l'autorité publique demande à environ 50 citoyens sélectionnés au hasard d'émettre des recommandations chiffrées, réalistes, mesurables et concrètes concernant une problématique spécifique. Ils se réunissent entre quatre et six fois, sur une période de deux à trois mois ; ils consultent des experts et des parties prenantes, ils délibèrent, ils étudient des idées, ils trouvent des terrains d'entente, et ils transmettent leurs recommandations à l'autorité publique. En assurant une large représentation de la population – plutôt que de se limiter aux voix les plus « bruyantes » – et en donnant le temps et les ressources nécessaires pour considérer le problème sous tous les angles, les entités publiques encouragent une approche consensuelle des processus de décision et gagnent en légitimité pour mettre en place les décisions difficiles.

Environ la moitié de ces processus de délibération longs s'effectuent au niveau de la ville, où les dirigeants sont responsables de budgets conséquents et disposent d'un large éventail de pouvoirs. L'autre moitié s'effectue principalement au niveau des régions et des États/des provinces, et quelquefois au niveau national. Les applications sont vastes : préparation d'un budget de 5 milliards de dollars sur 10 ans pour Melbourne ; élaboration d'une stratégie sur 30 ans d'investissement dans les infrastructures dans l'État de Victoria ; ou encore, révision de la Loi sur les condominiums de l'Ontario en se basant sur les recommandations des propriétaires et des résidents. D'autres thèmes sont également abordés : comment développer une vie nocturne dynamique en toute sécurité dans les villes d'Adélaïde et de Sydney ? Comment améliorer les infrastructures pour les cyclistes afin que ces derniers puissent partager la route avec les voitures de manière plus sûre ? Actuellement, 28 Torontois, sélectionnés au hasard pour une durée plus longue, constituent le Toronto Planning Review Panel, qui conseille le Département Urbanisme de la ville pour des problématiques de long-terme.

Le cas suivant fournit une illustration concrète : en 2014, le Comité Citoyen de Melbourne (Melbourne People's Panel) a regroupé un groupe de citoyens sélectionnés au hasard pour trouver une solution à la problématique suivante : comment Melbourne peut-elle rester l'une des villes les plus agréables au monde tout en maintenant une solide situation financière ? Huit mille habitants de la ville, choisis au hasard, ont été invités à participer. Parmi les deux mille qui ont témoigné leur intérêt, 45 personnes ont été choisies au hasard pour faire partie du Comité, en s'assurant de leur représentativité en termes d'âge, de sexe, de statut en tant que contribuable, et de lieu – les deux derniers indicateurs étant un bon moyen d'assurer un équilibre au niveau des caractéristiques socio-économiques.

Les membres du Comité Citoyen se sont réunis cinq fois – une fois toutes les trois semaines, d'août à novembre 2014. Au cours de cette période, ils se sont mis d'accord sur les principes qui allaient guider leurs délibérations, ils ont consulté un large éventail d'experts et de parties prenantes, ils ont discuté avec leurs familles et leurs amis entre les réunions, ils ont déterminé les priorités et évalué différents modèles de financement. Pour qu'une recommandation puisse être intégrée au rapport final, une majorité de 80% du groupe était requise. Le Comité Citoyen de Melbourne a émis 11 recommandations concrètes auprès du Conseil, en présentant les propositions directement au maire et aux conseillers de la ville.

Leurs propositions étaient variées et comprenaient entre autres les points suivants : augmentation des financements pour lutter contre le réchauffement climatique (en développant, par exemple, les jardins verticaux, les panneaux solaires, le tri des déchets et le recyclage) ; plan de cinq ans visant l'augmentation du nombre de pistes cyclables et de leurs barrières physiques dans la ville ; baisse des dépenses de 10% sur 10 ans pour les nouveaux grands travaux ; augmentation des taxes liées aux propriétés résidentielles et non résidentielles de 2,5% par an sur 10 ans.

Le Conseil a étudié les propositions du Comité Citoyen pendant quelques mois, et a finalisé son plan financier sur 10 ans le 30 juin 2015, sept mois après la première réunion du Comité Citoyen. Le plan final a été « grandement influencé par le Comité Citoyen du Conseil, un comité de 43 citoyens invités à s'exprimer sur les priorités en matière de dépenses et de recettes pour la prochaine décennie » (Ville de Melbourne, 2015). Dix des onze recommandations clés ont été acceptées, avec une explication de la décision pour chacune d'elle. Dans la publication finale du plan par la Ville de Melbourne, toutes les recommandations du Comité Citoyen sont présentées sous leur forme d'origine, avec une colonne pour les mentions « oui » ou « non », et une explication.

Le Comité Citoyen de Melbourne a été l'un des comités citoyens les plus réussis en Australie pour plusieurs raisons : la problématique était claire ; le Conseil était ouvert aux propositions du Comité, et en a accepté la grande majorité, comblant ainsi un trou de 800-900 millions de dollars (AUD) dans le budget.

Une des grandes forces de cette méthode d'engagement publique réside dans le fait qu'elle permet aux participants de développer une compréhension des contraintes et des compromis inhérents à l'élaboration de politiques, ce qui n'est pas forcément le cas d'autres formes de démocratie directe qui tendent à simplifier les problèmes à l'excès ou qui invitent les participants à émettre des souhaits peu réalistes sans réflexion suffisante. Les processus de délibération longs permettent aux autorités publiques de considérer le public comme une ressource (une source d'idées utiles et pragmatiques), plutôt que comme un risque. Lorsque la confiance envers les dirigeants politiques est altérée, donner aux citoyens une opportunité significative de contribuer à l'élaboration des politiques qui les touchent, eux et leurs communautés, peut aider à reconstruire cette confiance sur le long terme.